1°S3 H.A.M.M.
TPE 2014
Interview avec
Thierry Stolarczyk
Afin d'obtenir plus d'éclaircissements sur les thèmes de la matière et de l'énergie noires, mais aussi sur
l'Univers en général, nous avons rencontré Thierry Stolarczyk, physicien des particules au CEA
(Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives).
Comment décririez-vous l'Univers ?
" L'Univers est une espèce de mousse isotrope et homogène de galaxies que l'homme est capable d'observer jusqu'à il y a 13,7 milliards d'années. Les mesures n'étant pas faciles à faire, nous ne sommes pas sûrs que les limites observables de l'Univers constituent ses vraies limites. C'est pour cela qu'on parle d'Univers observable. Mais il y a une chose dont il faut avoir bien conscience, c'est que l'Univers par définition : c'est tout. On ne peut donc pas se poser la question de savoir ce qu'il y a en dehors de l'Univers."
Croyez-vous en la matière noire ?
"Ce n'est pas un problème de croyance, c'est un problème de savoir si ça colle bien avec la vision qu'on à en ce moment du monde. Si on pense qu'on a une fausse vision du monde, alors oui : il y a de la matière noire.
Sinon, il n'y en a pas. Cela pose soucis parce qu'on ne sait pas ce qu'est la matière noire, mais si on ne l'admet pas, on ne comprend plus. Peut-être que si vous faite des études scientifiques, dans 25 ans vous ferez une grande découverte de ce genre-là qui remettra tout en cause et il n'y aura alors plus besoin de matière noire.
Ce sera peut-être autre chose qui la remplacera."
Que pensez-vous de la théorie du Big Rip ?
" Le Big Rip ça n'existe pas. Ce n'est pas une théorie décrivant une fin possible de l'Univers, c'est de la vulgarisation de théorie. La théorie ne va rien dire là-dessus. Ce n'est pas comme ça qu'on réfléchit en sciences... Disons que si je tire les équations jusqu'au bout : j'obtiens un Big Rip. Quand on fait de la vulgarisation scientifique, on image beaucoup, on est obligé. Souvent, les gens qui font de la vulgarisation aiment faire rêver le grand public, mais on oublie alors l'essentiel."
Que pouvez-vous nous dire sur l'énergie noire ?
"On est incapable de savoir quel est le destin de l'Univers tant qu'on sait pas ce qu'est l'énergie noire. On a déjà du mal avec la matière noire mais alors l'énergie noire... c'est quelque chose qui est devenu tellement évident que si on ne la prend pas en compte, on ne comprend pas l'évolution de l'Univers. L'énergie noire est un des grands mystères de la science moderne. "
Est-ce que l'énergie noire est la fameuse constante cosmologique d'Einstein ?
"Il est vrai qu'elle est souvent associé à la constante cosmologique mais ça ne nous dit pas ce que c'est."
Pourquoi et comment savez-vous que l'Univers est plat ?
"Alors, il semblerait effectivement que partout l'Univers soit plat, ce sont les calculs qui le montre. Je savais que l'Univers était plat, mais je ne savais pas pourquoi. Juste pour vous donner une idée : il y a plein de gens très bien ici - moi y compris - qui ne savaient pas. En fait ce n'est pas du tout évident. Il faut faire des mesures, regarder comment fuient les galaxies, faire d'autres études observationnelles.. Une fois obtenu, vous mettez tout
ça dans les équations et de cette manière, on s'aperçoit que l'Univers est plat. Mais je ne peux pas vous le montrer : c'est là, quelque part au milieu de trois pages de calculs. On s'aperçoit que nos équations ne marchent que si l'Univers possède une métrique plate."
Pourquoi est-ce que les galaxies ne changent pas de taille lors de l'expansion de l'Univers ?
"C'est parce que localement, il y a de la matière et des forces qui empêchent qu'il y ai un rip comme vous dîtes. L'espace lui même a envie d'étirer tout ça mais localement la gravité maintient les structures. Voilà pourquoi les corps résistent à cette tendance à l'éloignement."
Que pouvez-vous nous dire sur ce qu'il y avait avant l'ère de Planck ?
"A partir de 10-43 secondes, on ne sait absolument rien dire. Donc ce n'est pas la peine de dire qu'il y avait quelque chose avant. Ce serait surinterpréter les équations d'Einstein. Prendre les équations et les tirer à leur maximum : c'est de la spéculation. Tout ce qu'on peut dire, c'est que les équations sont valables pour un certain nombre de choses qu'on peut observer de la nature. Si on donne des explications sur quelque chose qu'on ne peut observer alors il y a deux possibilités : soit on les observera un jour, donc c'est bien d'en parler. Soit on ne les observera jamais et alors à ce moment là c'est de la spéculation."
Pourquoi y a-t-il autant de théories sur le même sujet ?
"Il y a toujours plein de théories qui se développent quand les observations n'apportent pas de réponses. C'est un ping-pong : Théorie --> Prédiction --> Observation --> si cette dernière confirme on s'arrête et si non on crée de nouvelles théories et ainsi de suite.. Toute la science fondamentale est comme ça. Ce qui est le plus terrible et le plus excitant c'est que la partie la plus importante de la science est celle qu'on ne connait pas. Notre sphère des connaissances augmente mais sa surface de contact avec l'inconnu croit plus vite."
Quelques mots sur son travail :
J'ai démarré ma carrière en 90 à une période où naissait une discipline nommée astroparticule : on observe l'Univers avec des particules. Plus on observe l'Univers à haute énergie, plus on va s'adresser à des particules plutôt qu'à des ondes. Par exemple,
à haute énergie un photon est traité comme une particule tandis qu'à basse énergie, le photon est traité comme une onde.


Certains scientifiques ont calculé que si l'ère inflationnaire avait été ne serait-ce qu'un peu plus rapide, nous ne serions pas là à l'heure qu'il est. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
"L'une des grandes questions que l'on se pose c'est : Pourquoi on est là ? Pourquoi est-ce que les paramètres de l'Univers dans la théorie qu'on comprend permettent que la vie soit apparue ? On aurait pu imaginer que l'Univers ait une histoire différente.
Si l'expansion avait été beaucoup plus rapide, on aurait pas fait d'hélium par exemple."
L'explication de l'ère inflationnaire par Mr. Stolarczyk :
"Il faut voir un Univers remplis d'une soupe complétement homogène : pas un morceau. Si je prends cette soupe et que je l'étends, il n'y a aucune raison de voir des grumeaux. Pourtant nous on est des grumeaux. Pour comprendre, imaginez que cette soupe bouillonne de façon infiniment petite. Les petites bulles issues du bouillonnement seraient restées et c'est ça qui aurait donné naissance ensuite à la granularité qui permet d'avoir l'Univers tel qu'on le voit.
Le problème c'est que normalement quand on fait refroidir une soupe, les petites ébullitions vont disparaitre et ma soupe
froide devient parfaitement homogène. Pour que ces bulles restent, il faut donc que j'étale ma soupe très très vite. Le plus vite possible, il ne faut pas que je la laisse refroidir doucement, pour ne pas que les bulles disparaissent. Voilà le phénomène de l'inflation. C'est cette sorte d'instabilité qui a permis de propager les fluctuations quantiques de l'Univers ( les petites bulles) dans tous le cosmos sans disparaitre : notre Univers n'est donc pas complétement homogène en réalité.
A grande distance il le parait mais si on zoom, on découvre des disparités. Ainsi, parce qu'il y a eu des inhomogénéités, des galaxies se sont créés, des étoiles sont apparues, le cycle des étoiles a eu lieu, créant carbone, oxygène et azote jusqu'au fer, l'explosion d'étoiles a eu lieu et tout à la fin il y a eu nous. "

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